Quand la ville de Florence invitait Léonard de Vinci et Michel-Ange pour illustrer deux événements historiques à la gloire de la République sur les murs du Palazzo Vecchio. (Troisième épisode Michel-Ange).
Attention travaux.
Giorgio Vasari (1511-1574), premier grand historien de l’art avec ses trois volumes de « Vies d’artistes » de la Renaissance italienne résume d’une phrase le phénomène Michel-Ange et son ascension fulgurante au firmament de l’art à Florence en ce début du seizième siècle :
« Comment main d’artisan a-t-elle pu si divinement accomplir, en si peu de temps, une œuvre aussi admirable ? Cela relève du miracle : qu’un rocher informe ait atteint une perfection telle que la nature ne la modèle que si rarement dans la chair ».
Fait-il allusion à son David (1501-1504) qui trône Place de la Seigneurie à Florence, à sa Piéta (1499) installée à la basilique Saint Pierre de Rome ?
En vérité, la République de Florence n’a pas hésité longtemps pour passer commande au sculpteur Michel-Ange. La nouvelle star de la scène artistique est invitée à venir se mesurer au maitre Léonard en peignant à fresque sur l’autre grand mur de la grande Salle de Cinq Cent cette autre bataille remportée sur les pisans à Cascina. Bien joué de la part des autorités de la ville, ce match entre deux artistes florentins ne pouvait que renforcer l’intérêt des florentins à suivre cette commémoration des héros de la République sur les champs de batailles.
Michel-Ange revient donc s’installer un temps à Florence et prend atelier dans une salle de l’Hôpital Saint Honoré où il s’enferme plusieurs mois pour réaliser en secret les cartons de la fresque devant illustrer la bataille de Cascina.
La rivalité existe bel et bien avec Léonard de Vinci, lui-même ne se privant pas d’écrire dans ses carnets : « Ne donnes pas à tous les muscles des figures un volume exagéré … si tu agis différemment, c’est d’avantage à la représentation d’un sac de noix que tu seras parvenu qu’à celle d’une figure humaine ». Ce « sac di noce » visait directement les abdominaux et autres muscles aux dimensions excessives des figures de son concurrent, Michel-Ange.
Par ailleurs, la lenteur de Léonard de Vinci était proverbiale et sujet à raillerie. Isabelle d’Este lui réclamait à corps et à cri son portrait depuis des années, mais ce dernier faisait la sourde oreille. Elle délégua plusieurs émissaires tant à Venise qu’à Florence où Léonard était de passage : « Il consacre le plus clair de son temps à la géométrie et n’a plus goût pour le pinceau » lui écrivit de Venise le vicaire des Carmélites ou encore, de Florence (non sans humour) cet autre Angelo del Tovaglia : « Je crains beaucoup qu’ils ne rivalisent de retard. Je ne sais lequel des deux l’emportera, mais je parierais pour Léonard« . L’autre étant Le Pérugin, lui-aussi sollicité pour un portrait de la belle.
Il y avait donc matière à polémiques entre les deux acteurs de la scène artistique et leurs partisans.
La bataille de Cascina : illustration.
Entre 1362 et 1364 une guerre opposa Florentins et Pisans.
Fin juillet 1364, sous un ciel torride, les soldats florentins étouffant sous la chaleur de l’été font halte sur les bords de l’Arno et décident de piquer une tête dans la rivière pour se rafraichir. Pas de chance, c’est à cet instant que surgit par surprise l’armée de Pise. Fort heureusement un soldat florentin faisait le guet et put donner l’alerte …
C’est ce moment là que choisit Michel-Ange pour illustrer la bataille dite de Cascina (nom de la commune proche) qui tourna à l’avantage des florentins.
Ce choix délibéré n’était pas anodin mais fortement motivé pour deux raisons, une raison politique, Machiavel venait de proposer la création d’une « milice civique rapidement mobilisable » dans le conflit toujours présent contre la ville de Pise, c’était donc pour la République de Florence un message politique à faire passer le plus clairement possible et pour l’artiste Michel-Ange, c’était l’occasion d’afficher son message esthétique exaltant l’art grec et la nudité des corps, message à faire passer tout aussi clairement.
Eh bien ! Malgré d’aussi bonnes raisons affichées par chacune des deux parties, le commanditaire et l’exécuteur, le mur que devait peindre Michel-Ange resta un mur et l’hommage aux héros de la bataille de Cascina imaginé par la ville pour honorer les victoires de la République se mua en une incompréhensible défaite.
Tout comme son concurrent, Michel-Ange laisse sur place ses dessins et l’oeuvre inachevée.
Dans le sillage de Léonard de Vinci, il quitte sa ville Florence pour ne jamais y revenir (1505).
Aujourd’hui en 2022, plus de 500 ans après les faits, cette absence de Michel-Ange et de Léonard de Vinci sur les murs de la Salle des Conseils du Palazzo Vecchio peut être perçue comme un cruel regret et l’histoire d’un raté monumental.
Un rêve est toujours possible, celui de pouvoir imaginer ce qu’aurait pu être cette fresque de la bataille de Cascina … en évoquant un pan du « jugement dernier » peint à fresque quelques années plus tard par ce même Michel-Ange sur les murs de la chapelle Sixtine (ci-dessous).
Cette image comme lot de consolation pour montrer ce qu’auraient pu voir les florentins d’hier et d’aujourd’hui de cette milice sortant précipitamment de la rivière et s’armant au combat à Cascina.
En 1554 Cosme I duc de Toscane choisira un autre toscan, Giorgo Vasari, pour illustrer un autre fait d’armes sur les murs vides du Palazzo Vecchio.
Prochain épisode : la peinture en héritage, une suite sans fin.
Hervey
Si vous regardez attentivement le dernier visuel (détail de la fresque du « Jugement dernier » vous remarquerez que le rocher sur la gauche en bas de l’image semble lui aussi montrer ses muscles.
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