Le faiseur de pluie

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Saul Bellow : « Le faiseur de pluie ».

J’ai toujours eu un caractère plus militaire que civil. Quand dans l’armée, j’attrapai des mordions, j’allai demander de la poudre désinfectante. Mais quand j’annonçai ce que j’avais, quatre infirmiers m’empoignèrent, juste au carrefour, et là, en plein vent, ils me mirent tout nu, puis me savonnèrent et me rasèrent tous les poils du corps, devant, derrière, sous les aisselles, au pubis, la moustache, les sourcils et tout. Nous étions tout prés du front de Salerne. Des camions bourrés de troupes passaient, et des paysans, des pêcheurs, des gosses, des filles et des femmes regardaient. Les GI’s riaient et plaisantaient, les paysans aussi, on riait tout le long de la cote et même moi je riais en essayant de tuer les quatre infirmiers qui me malmenaient. Ils s’enfuirent et me laissèrent là tondu et frissonnant, affreusement nu avec la chair de poule entre les jambes et sous les bras, fou de rage, secoué de rire et jurant de me venger. Ce sont des choses qu’un homme n’oublie jamais et qu’il apprécie plus tard à sa juste valeur. Ce ciel splendide, cette affreuse démangeaison et les rasoirs, la Méditerranée, qui est le berceau de l’humanité : la douceur suprême de l’air: l’accablante douceur de l’eau où Ulysse s’est perdu, où lui aussi était nu quand les sirènes chantaient.

Saul Bellow – « Le faiseur de pluie ».

Ainsi se présente Eugéne Henderson dans ce livre « Le faiseur de pluie » de Saul Bellow écrit à la première personne, personnage colossal, violant et débrouillard, milliardaire américain ayant fait fortune dans l’élevage des cochons mais mal dans sa peau, décidant un beau jour, à plus de 50 ans, suite à certains événements, de rompre avec une part de lui-même et de partir se racheter chez les Inuits … puis non, tout compte fait, ce sera l’Afrique, l’Afrique en terras incognitas.

Cette double rupture indécise, subite, déjantée avec soi et son environnement familial, professionnel est le leitmotiv, le pivot sur lequel va se construire ce long récit, riche en aventures extravagantes, fait de rencontres incongrues en écho à des événements et des expériences qui ont marqué et façonné le héros qui, « heureux comme Ulysse » … au bout de son périple, reviendra apaisé (?) … à la case départ.
C’est donc l’histoire d’une quête spirituelle rocambolesque croisant bien des travers de nos sociétés de consommation sans apporter d’autre réponse qu’une conscience aiguë de ce qui cloche.
L’extravagance de cet Eugéne Henderson voulant sans cesse se ressaisir de ses erreurs semble aller de pair avec l’extravagance de notre propre monde contemporain mais sans exclusivité particulière car les sociétés « premières », faiseur de pluie faiseur de roi, situées loin de nos sentiers battus, blotties au coeur de l’Afrique que Henderson et son guide Romilayu viennent « visiter » font elles-aussi preuve de belles et riches extravagances.
Pour traverser et survivre à cette épopée, il faut voyager armé d’une sacré dose d’humour et de dérision mêlés.
C’est tout l’apport du maitre marionnettiste Saul Bellow resté en coulisses, et c’est communicatif.
Bonne lecture pour cette Education Sentimentale bis, made in Chicago.

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