Feuilleton : L’Enfer Chant 33
Troisième espace du Cocyte dit de Ptolomée, où sont figés, prisonniers des glaces, les traitres envers leurs bienfaiteurs. L’archevêque Roger de Pise et le sort épouvantable de la famille Ugolin enfermée dans « La tour de la faim ». Le criminel Albéric de Manfredi et l’empoisonneur Branca Doria, dernières ombres bavardes de l’Enfer.
Ugolin, comte de la Gherardesca était pisan et partisan des guelfes. Il fit alliance avec l’archevêque Roger, gibelin de la ville de Pise pour évincer un autre gibelin Nino Visconti et lui disputer le gouvernement de la ville. L’affaire réussi. Mais peu de temps après, l’archevêque félon à son parti et inquiet du succès de son allié de circonstance voulu le perdre et fit courir des rumeurs de trahison sur son compte. Puis, jugeant suffisament crédibles les effets de ces rumeurs, il se présenta avec la croix et un soutien armé au château du comte et le fit mettre en prison lui et ses deux fils et trois petits fils qu’il enferma dans une tour et jeta les clefs dans la rivière pour que personne ne put rendre visite aux prisonniers.
On nomme cette tour Tour de la faim car Ugolin et ses enfants et petit enfant y moururent de faim.
On voudrait bien croire que l’histoire fût inventée mais non, elle est authentique, la barbarie et l’aveuglement de cet homme d’église était sans limite. Ugolin rendu fou de rage, mi homme mi bête, raconte sa terrible histoire. Saisi dans les glaces du Cocyte, il pleure et ronge le crâne de l’archevêque Roger.
Dante décrit longuement cette mortelle vengeance tressant patiemment les fils de cette ignominie dépassant les limites du supportable en quatre vingt dix vers, mêlant dialogues, décors, folie, démesure. La tour de la faim se dresse à l’avant dernière place, au fin fond de l’Enfer. Edifiant édifice.
Deux autres ombres viennent compléter le tableau :
Albéric de Manfredi, seigneur de Faenza, qui s’étant brouillé avec des gens de sa confrérie, feignit de se réconcilier en les invitant à un somptueux repas. Au moment du dessert, des hommes en armes se ruèrent sur les convives pour les assassiner.
Le génois Branca Doria invita son beau-père Michel Zanche et l’empoisonna.
Note. Dans une lettre à sa soeur Pauline datée de 1804, Stendhal lui conseille de lire Dante: “Cherche l’histoire d’Ugolin, chant XXXIII; voilà la plus terrible poésie qui existe. Sois sûre que tu ne trouveras pas chez tous les Anglais (Shakespeare et Milton exceptés) un seul vers aussi beau que les 90 de ce passage sublime”.
Un dessin de Léonard de Vinci.
Quand’ ebbe detto ciò, con li occhi torti
riprese ‘l teschio misero co’ denti,
che furo a l’osso, come d’un can, forti.
Quand il eut dit cela, d’un regard tors
il reprit le crâne abject avec les dents
jusqu’à l’os, comme un chien et aussi fort.*
*Traduction Danièle Robert