Notes pour un portrait.
Vous êtes-vous déjà retrouvé(e) enfermé(e) seul(e) dans un bâtiment public, ayant oublié l’heure, oublié(e) aussi du personnel administratif. C’est la banale aventure advenue à Blaise Cendras, enfermé toute une nuit rue de l’Université à Paris dans la photothèque de la RTF, un immeuble sur plusieurs étages contenant des tonnes d’enregistrements radiophoniques.
Le document sonore qui suit est une excellente introduction à « Cendrars et la musique », montrant l’attention portée à tout ce qui s’entend des activités humaines, les bruits, les sons, les rythmes.
Après sa vision du monde, son écoute.
Les artistes sont des éponges. Ils butinent, captent, absorbent, et restituent ce qui deviendra plus tard la représentation de tous les signes distinctifs et spécifiques d’une époque.
Blaise Cendrars est de ceux-là.
« Pâques à New-York », « La Prose du Transsibérien », « J’ai saigné »… sont de ces musiques en résonance avec son temps, des tranches de vies sonores, de véritables partitions se juxtaposant à d’autres signées Arthur Honegger, Darius Milhaud, Eric Satie, Igor Stravinsky ou Villa Lobos.
A la sortie de la guerre (14-18), avec un bras en moins (« J’ai saigné« ), Cendrars s’intéresse au cinéma. Il tourne comme figurant dans le « J’accuse » d’Abel Gance, devient son assistant bénévole dans « La roue », un drame cinématographique où le personnage principal conduit une locomotive.
Arthur Honneger compose la musique du film.
Cette musique de commande trouvera son aboutissement dans Pacific 231, petit chef-d’oeuvre de l’art Futuriste.
En écoutant Pacific 231 on pense à « La prose du Transsibérien« , ce poème publié avant guerre, en collaboration avec Sonia Delaunay, livre-objet se dépliant en affichette, destiné à être accroché au mur, édité en souscription, tiré à 150 exemplaires (?) « pour que mis bout à bout ils aient la hauteur de la tour Eiffel ».
Se bousculent là tous les signes des fraternités artistiques. Pacific 231 semble être cet autre livre-objet où le nom du poète se serait perdu dans les nuages des machines à vapeur.
« Les écluses du nouveau langage sont ouvertes », écrira Cendrars dans un opuscule type mode d’emploi sur l’art cinématographique, une voie étroite après l’échec de son premier film La Venere Nera (1921) à Rome, copie perdue. Reste un vague synopsis dans « Bourlinguer » (Naples) et quelques autres annotations sur des documentaires de chasses tournés en Afrique dans « L’homme foudroyé » (vieux port).
Autre échec cinématographique, au Brésil en juillet 1924, alors qu’il vient de signer avec les autorités du pays les derniers accords financiers pour la réalisation d’un film sur le Brésil, éclate dans les heures qui suivent la révolution des Lieutenants. Le film ne verra jamais le jour.
Cendrars renouera avec le septième art comme reporter cette fois, quelques années plus tard, appelé par Pierre Lazareff du quotidien Paris-Soir pour couvrir les débuts de l’industrie cinématographique à Hollywood.
Dans Rapsodie Gitanes, Cendrars conte les mésaventures de son ami Fernand Léger dans les banlieue de Paris. La rapsodie est une forme musicale. Ici le choix des mots n’est pas du au hasard. Son sens étymologique : « coudre ensemble » rend compte de sa pratique d’écriture dans son désir de traduire le monde sous toutes ses facettes en suivant l’exemple des décontractions cubistes mises en lumière par les peintres.
Dans Vol à voile l’écrivain voyageur confesse le rôle important que tient la musique depuis son enfance, le piano de sa mère, l’orgue de son professeur de musique, de tout ce qu’il leur doit dans l’ordre de la transmission. De ses premières ambitions il dit : « je voulais composer une symphonie sur le thème du Déluge en m’inspirant du pessimisme intégral de de Vinci et des fonds géologiques, voire cosmiques de ses tableaux sur lesquels se détache le portrait d’une Mona Lisa, car avant d’être saisi par le démon de l’écriture je pensais devenir musicien, compositeur »… Sa main coupée mit un terme à une possible carrière musicale, jamais à sa passion pour la musique.
En 1921, Cendrars venait de publier Anthologie Nègre toujours habité de ce désir d’art total, de « coudre » un récit visuel et sonore. Darius Milhaud venait de rentrer des Etats Unis, la tête pleine de Jazzi. Léger et Cendrars lui rendent visite.
Ainsi commença La Création du Monde, retour aux sources des forces primitives.
Erik Satie est un être tout à fait atypique. Sa musique lui ressemble. Il publie un premier album « SPORT ET DIVERTISSEMENTS » avec des dessins de Charles Martin (ci-dessus) d’un esprit et d’une touche « révolutionnaire ».
Cendrars est un des tout premier à avoir remarqué cette originalité musicale (et personnelle) d’Erik Satie, un des tout premier à lui venir en aide en organisant un Festival « INSTANT MUSICAL ERIK SATIE » regroupant concert et exposition d’arts plastiques en compagnie de Kisling, Modigliani, Picasso.
D’autres suivront son exemple. Jean Cocteau signera la mise en scène du ballet « PARADE » musique de Satie, décors et costumes de Picasso puis à nouveau quelques années plus tard « LA STATUE RETROUVEE » toujours Picasso pour les décors.
Satie deviendra la figure de proue du mouvement Dada, l’occasion d’une nouvelle formation en duo avec Picabia pour le ballet « RELACHE« .
René Clair signera « ENTR’ACTE » rare oeuvre cinématographique du mouvement Dada sur une musique d’Erik Satie.
Pas de doute, entre deux êtres si différents, l’un si mobile, l’autre si statique… c’est en musique qu’ils voyagent autour d’un verre et de parties de rire.
Dans les années qui suivent la grande guerre, les capitales retrouvent la force de construire un monde nouveau. Paris devient un lieu cosmopolite où se croisent l’Est et l’Ouest, migrants sans un kopeck et affairistes richissimes. Le globetrotteur Cendrars croise marlous et princesses dont Madame Eugenia Errazuriz (« l’autre mère de Picasso », Picasso l’adorait), une riche chilienne, pionnière de l’esthétique minimaliste et mécène d’artistes de sa génération.
Eugenia Errazuriz photographiée ici en compagnie de Cendrars (au côté de Raymonde sa compagne) et Stravinsky à Biarritz… document photographique soulignant les liens entre Stravinsky et Cendrars, tout en rappelant leurs correspondances (à prendre au pied de la lettre) à propos de Ragtime et de la musique.
Survol, par ces quelques documents, du destin contrarié du jeune Frédéric Louis Sauser qui voulait être musicien, la main droite arrachée, devenu l’Autre Blaise Cendrars.
Un mal pour un bien ?
EN HOMMAGE, ce chant qui s’élève et se couche comme un soleil, d’Heitor Villa Lobos, brésilien, seconde vie et seconde patrie de Cendras, porté ici par Cette Bellissima plainte remontant du « fond des âges » et des tréfonds de l’espèce humaine.
« Le temps ne compte pas la nuit quand on se laisse emporté par le génie de la musique »
Frédéric Louis Sauser – Blaise Cendrars