Paul Cézanne et ses nombreuses Sainte Victoire (II)

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Cézanne a peint plus d’une vingtaine de toiles et plus d’une quarantaine d’aquarelles de la montagne Sainte Victoire, fut-il un adepte de Pétrarque, un admirateur de la grande tradition des paysagistes chinois qui invite tout peintre à vénérer ces hauts lieux et tutoyer les nuages ?
Fortuit et vraisemblable !

Post-it : « Cézanne/Shitao ».

Paul Cézanne s’est peu exprimé sur son travail mais les quelques écrits et images mis en parallèles dans les deux tableaux suivants, contiennent et soulignent une même aspiration à s’élever vers une compréhension du monde par l’esprit et la pratique de la peinture si singulièrement présente dans la grande peinture chinoise classique.

Ecrits de Cézanne

« Regardez cette Sainte-Victoire. Quel élan, quelle soif impérieuse du soleil, et quelle mélancolie, le soir, quand toute cette pesanteur retombe… Ces blocs étaient du feu. Il y a du feu encore en eux.
L’ombre, le jour a l’air de reculer en frissonnant, d’avoir peur d’eux ; il y a là-haut la caverne de Platon : remarquez quand de grands nuages passent, l’ombre qui en tombe frémit sur les roches, comme brûlée, bue tout de suite par une bouche de feu. »

« L’odeur toute bleue des pins, qui est âpre au soleil, doit épouser l’odeur verte des prairies qui fraîchissent là chaque matin, avec l’odeur des pierres, le parfum de marbre lointain de la Sainte-Victoire. »

« Ce que je cherche à traduire est plus mystérieux, il est entrelacé dans les nervures des arbres, dans la texture de la roche, dans la fraîcheur des brises. »

« L’art est une harmonie parallèle à la nature »

Ecrits de Shitao

« Il y a cinquante ans je n’étais pas encore venu à l’existence avec les monts et les fleuves, non pas qu’ils eussent été valeurs négligeables mais je les laissais seulement exister par eux-mêmes mais maintenant les monts et les fleuves me chargent de parler pour eux. Ils sont nés en moi et moi en eux. J’ai cherché sans trêves des signes extraordinaires, j’en ai fait des croquis, monts et fleuves se sont rencontrés avec mon esprit et leur empreinte s’y est métamorphosée. »

Ecrits de Guo Xi

« Un homme vertueux se délecte des paysages pour que, dans une retraite rustique, il puisse nourrir sa nature, qu’au milieu du jeu insouciant des ruisseaux et des rochers il puisse se délecter, pour qu’il puisse constamment rencontrer dans la campagne des pêcheurs, des bûcherons et des ermites, et voir l’envol des grues et entendre le cri des singes. Le vacarme du monde poussiéreux et l’enfermement des habitations humaines sont ce que la nature humaine abhorre habituellement ; au contraire, la brume, le brouillard et les esprits obsédants des montagnes sont ce que la nature humaine recherche, et pourtant ne peut que rarement trouver. »

Shen Zhou (1417-1509)
Huang Gongwang (1347-1350) »Séjourner dans les montagnes de Fuchun
Shitao « Brume et paysage »
Shitao « Vue du Mont Huang »
Shitao « Montagnes »
Shitao « Hermitage »
Li Tang (1050-1130)

Bien que les époques et les contextes culturels et philosophiques soient forts différents entre Cézanne et des peintres chinois classiques des diverses dynasties Song et Quing, il existe chez Cézanne cette même quête d’harmonie avec la nature omnieprésente chez les peintres chinois connus sous le nom de Shan shui  (montagne et eau) de spiritualité taoïste, même recherche d’unité avec le cosmos, même conscience profonde de l’équilibre du monde dans sa diversité.
Cézanne cherchait pareillement une voie au-delà de la simple représentation visuelle pour toucher à l’essence même des choses.
Sa démarche consistant à décomposer les formes en figures géométriques (cylindres, cônes, et sphères) et à explorer ces structures sous-jacentes de la nature traduit une quête d’ordre et d’harmonie universelle présente au coeur même de la philosophie taoïste, qui valorise l’équilibre, la simplicité, et l’intégration harmonieuse dans le monde naturel.
Dans la tradition artistique chinoise, particulièrement pendant les époques Song et suivantes, les montagnes ont toujours occupé une place prépondérante, non seulement pour leur beauté esthétique mais aussi pour leur signification spirituelle et philosophique.

Mont Kailash (6638m)

Des peintres comme Li Tang de la dynastie Song et Shitao de la dynastie Qing ont incarné cette fascination. Leurs œuvres ne se contentent pas de représenter la nature mais cherchent à capturer l’essence de l’univers, la dynamique du yin et du yang, et la notion de « dao » (道, la voie), cette voie recherchée par Cézanne confronté au paysage de la Sainte Victoire.
La montagne devient alors un symbole d’élévation spirituelle, un lieu de méditation loin du monde profane, une démarche pour se rapprocher du divin ou de l’harmonie universelle, notions symboliques qui auraient pareillement touchés l’auteur de « L’ascension du Mont Ventoux ».
La comparaison entre Cézanne et les peintres de montagnes chinois ouvre des perspectives nouvelles sur la façon dont différentes cultures abordent ces thèmes universels tels que la nature, l’art, la poésie et la quête de sens.

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