Michelangelo Merisi dit Le Caravage 2

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Ce turbulent Prométhée de la peinture (II)

Caravage, autoportrait2, Martyre de St Mathieu

Peu de documents précis et irréfutables sur la vie du peintre, ce qui ouvre un espace aux supputations et à l’imaginaire. Toutefois ses premiers biographes le présentent querelleur et violent, une réputation justifiée par ses multiples cavales pour rixes et meurtres afin d’échapper à la prison ou à la peine capitale.
Une difficulté du même ordre se présente pour répertorier son oeuvre.
N’ayant signé que 2 peintures sur la centaine reconnue et validée, ce simple graphe fait cruellement défaut, épaississant le mystère autour du personnage. Il a donc fallu reconstituer pas à pas les données manquantes, remplir au mieux les zones en pointillés, une vaste enquête qui se poursuit toujours au fil des années…
Parmi ses premières peintures, combien se sont très probablement perdues, effacées de l’Histoire ? Comme ces nombreuses peintures égarées dans des greniers, tombées dans l’oubli lorsqu’elles n’ont pas eu la chance de faire parti du lot des ventes et acquisitions par de grands acheteurs, ici la curie romaine en la personne du cardinal Del Monte qui lui achètera plusieurs peintures (jusqu’à sept) tout en lui ouvrant la voie des commandes officielles (l’église St Louis des Français).
D’autres suivront.

Caravage Narcisse 1597
Narcisse 1597

Bien que son attribution ne fasse pas l’unanimité, le « Narcisse » de Caravage préfigure sa marque de fabrique, l’originalité de sa vision.
Narcisse est cette figure atypique comme seul le génie grec sait en proposer, fils de la belle nymphe Liriopé prise et violée dans les méandres du fleuve Céphise.
Cet(te) enfant né(e) de cette « union » nous dit Ovide ne pouvait que susciter l’amour des nymphes, « beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles le désiraient, mais sa beauté naissante s’accompagnait d’une fierté cruelle : ni jeunes gens ni jeunes filles ne pouvaient l’approcher. Le beau jeune homme était insensible à chacun ou chacune et de poursuivre, « celle qui l’aperçut, poussant vers ses filets des cerfs affolés, fut la nymphe loquace, qui ne sait ni se taire quand on parle ni parler la première : Echo répète les sons… » la pauvre Echo nous rappelle Ovide, condamnée par Junon à répéter les derniers mots de celui qui parle. Terrible punition pour cette amoureuse qui voudrait déclarer sa flamme et convaincre de son désir, pauvre Echo amoureuse de Narcisse mais repoussée, délaissée, s’obstinant sans fin jusqu’à … l’épuisement « toute la sève de son corps s’évapore, ne reste que la voix et les os : la voix est intacte… elle est depuis cachée dans les forêts, on ne la voit plus mais tout le monde l’entend ». Cette plainte continue et lancinante aura aussi un « écho » vengeur chez la déesse de Rhamnonte, émue d’un sort si funeste. Elle prévient : « Puisse-t-il aimer lui aussi et ne pas posséder l’objet de son amour ».
Et, un jour advint où, « Le jeune homme épuisé de chaleur et d’ardeur à la chasse, fut séduit par la source, son cadre, s’y pencha; tandis qu’il essayait d’étancher sa soif, une autre soif grandit en lui. Pendant qu’il boit, fasciné par le reflet de sa propre beauté, il s’éprend de cet être sans corps, confond le corps avec son ombre. Ebloui, paralysé devant ce visage si semblable au sien, il reste pétrifié, une statue sculptée dans le marbre de Paros. »
C’est cet instant là que choisit Caravage comme sujet et objet de peinture pour illustrer son Narcisse.
Citant longuement ce magnifique passage des Métamorphose, c’est à dessein que j’ai mis en gras le mot cadre puisque c’est ce cadrage qui contient la peinture, divisée en deux dans sa hauteur, montrant le réel et son image, lançant aussitôt la question du leurre que représente toute image, toute peinture puisque l’un et l’autre (le haut, le bas du tableau, le sujet et son reflet) sont image tout deux dans ce que nous regardons.
On remarque aussi dans la composition que Narcisse embrasse l’image, ces deux bras formant un encerclement … mais pour ne rien pouvoir saisir de ce reflet, de ce miroir d’eau, de cette image. Funeste désir.
Est-ce un effet de ma propre imagination, vibrant à un souvenir d’enfance où m’étant perdu une nuit d’été dans Rome, je tombais dans une cour des miracles où se tenaient une vingtaine de culs-de-jatte prenant le frais…??? Mais ici Narcisse (pour moi) semble se trainer au bord du cours d’eau, tel un cul-de-jatte, un genou tel un moignon dénudé l’autre enserré dans son vêtement dans une attitude gauche et pathétique propre à ce handicap.
« Rivé au sol, il contemple son double, ses yeux, son éclat… que des baiser sans réponse a-t-il donné à la source trompeuse !… ce que tu cherches n’existe pas; ce que tu aimes, tourne-toi, tu le perds. »
Et se consume Narcisse dans cette impossible quête, « au tiède rayons du soleil, lui, exténué d’amour, se dilue, un feu secret lentement le consume… et il ne reste rien du corps jadis aimé par Echo ».
« Sa dernière parole, les yeux fixés sur l’onde familière, fut : « Hélas! Enfant que j’aime vainement ! », et le lieu la reprit mot pour mot; à son « Adieu ! », Echo reprit : « Adieu! », épuisé, il laissa tomber sa tête sur l’herbe verte ».

« A la place du corps on trouva une fleur au coeur jaune safran entouré de pétales blancs. »

Hervey Fleur Narcisse
Narcisse poeticus Recurvus

Cette représentation du « Narcisse » des Métamorphoses d’Ovide diffère de celle de tous les autres peintres l’ayant illustré. Cette interprétation inaugure une nouvelle conception de l’art et de l’image comme construction mentale venant enrichir la représentation de la réalité pour mieux la questionner (j’y reviendrai).
Le grand Nicolas Poussin en affirmant que Caravage « était venu au monde pour détruire la peinture » s’est trompé.




La suite au prochain épisode

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