Feuilleton – L’Enfer : Chant 20
Huitième cercle. Quatrième bolge. Les mages et les devins. Voyances et prédictions.
A cette étape du voyage, Dante se souvient d’avoir éprouvé peine et grande douleur à voir déambuler dans cette quatrième fosse, une assemblée de misérables, allant en procession, le haut du corps vissé à l’envers sur le bas au niveau de la ceinture, pleurant, les larmes dégoulinant sur leurs fesses, « les mouillant jusqu’à la raie » dit-il (on sent poindre l’ironie).
Il raconte s’être fait sermonné par Virgile, ce dernier lui reprochant son côté midinette, le rappelant à la réalité et lui demandant de bien vouloir faire preuve d’un peu plus de jugeote (Ah !).
S’en suit une leçon d’Histoire. Le bon maitre s’attelant à lui écarquiller les yeux sur ces individus s’étant adonnés à la divination, lui signalant, pour mémoire, toute une brochette de personnages, adeptes de ces pratiques, large éventail puisé parmi les grecs, les étrusques, les romains, tous friands et porteurs de prédictions.
« Vises » dit-il, « Anphiaraos, Tiresias, Aruns, Manto, Eurypyle… » et de décrire en détail tous ces haruspices et autres voyantes VIP.
Dante, bon élève, retrouve ses esprits, d’autant que Virgile, pour compléter le tableau, désigne et pointe du doigt quelques uns de ses contemporains qui viennent de défrayer la chronique, Michael Scott, Guido Bonati, Asdent.
Tiens, mais pour notre temps à nous, que dirait une radiographie type Virgile ?
Pensez-vous que ce jeu des prédictions soit de nos jours aboli, tombé dans les oubliettes ?
Question !
Certes, une dissection suivie de l’analyse d’un foie de mouton ou des entrailles d’un poulet n’ont plus cours aujourd’hui, toutefois, il est rare qu’un jour ne passe sans que je ne trouve dans ma boite @ une invitation à consulter Madame Irma ou Monsieur Voyance. Pourtant, depuis Caton (- 200 avant JC) : nous savons que « Deux haruspices ne peuvent pas se regarder sans rire »…
Peut-on suspecter Dante de s’être laissé duper par ces attrapes nigauds ? Non, bien sûr, il nous la joue (la Divine Comédie). Plus sérieusement, Dante, ici, se range au côté de saint Augustin.
Ne nous y trompons pas, il y a dans le principe de voyance, la négation de ce cher « libre arbitre » prométhéen.
Quant à nous, toujours plus nombreux sous les étoiles en 2019, si nous devions mesurer notre présence dans cette « bolge », la place manquerait pour accueillir tous les « dévissés ».
« Vises » (dirait Virgile) comme les pages « à tout coeur » des journaux people sont en bonne place pour entretenir la flamme du foyer infernal, « Vises » comme les enquêtes des instituts de sondages genre IPSOS défilent dans les médias, « Vises » comme les sociétés de marchés prédictifs pronostiquent en continue. Les algorithmes sont à la fête.
Ne rions pas de la Pythie de Delphes. A y regarder de prés, ces augures étaient de forts savantes devinettes dont le sens savait se faire désirer et ne se révélait qu’après coup.
Note : Evoquant Aruns (ayant prédit la victoire de César sur Pompée) par la bouche de Virgile, Dante (dans ce Chant 20) nous parle des montagnes de Luni, prés de Carrare, un lieu où il vécut au début de son exil, sous la protection des Malaspina. Confidence pour confidence, la petite fenêtre qui se dessine sur la photo d’illustration ci-dessous, donne sur la vallée des Baux, dominant le col dit de La Vayéde et s’ouvre à l’ouest sur le Val d’Enfer (justement). Un troglodyte qui fut mon atelier durant une dizaine d’années.
Ceci expliquant sans doute cela, et réciproquement.
« Aronta é quel h’al ventre li s’atterra
che ne’ monti di Luni, dove ronca
lo Carrarese che di sotto alberga,
ebbe tra’ bianchi marmi la spelonca
per sua dimora; onde a guardar le stelle
e ‘l mar non li era la veduta tronca. »*Traduction Danièle Robert
« Aruns le suit à son ventre collé,
qui, dans les monts de Luni – que fouit
celui qui vit en bas, le Carrarais -,
entre les marbres blancs sa maison fit
d’une grotte d’où le vue s’étendait
des étoiles jusqu’à la mer pour lui. »*