Hervey : l’humour et le jeu.
De madones modernes et polychromes sculptées dans le plâtre en peintures-collages parlant de cartes imaginaires, l’artiste Hervey nous introduit dans un monde très personnel où pointent avec malice l’humour et le jeu. Elles ont l’air fragile et arrogant, plantées sur leur socle peint. Peintes à l’encauste ( cire chaude ) et laquées, offrant leurs bustes moulés dans des vêtements aux formes et couleurs originales, lançant des clins d’oeil avertis à la haute couture. Les « madones » d’Hervey offrent à la galerie Serero un paysage surprenant parce qu’elles ne s’inscrivent dans aucune mode, tant dans leur inspiration que dans leur réalisation. En Bourgogne où il vit et travaille, Hervey se tient à l’écart des idiomes branchés de la capitale. Peintre avant tout, il se déclare sculpteur du dimanche. Mais il a deux ateliers, deux chantiers ouvert en permanence, peut-être deux pôles d’imagination et de réflexion afin d’être sans cesse à l’écoute des correspondances et des contradiction de ce monde. « Mes madones de couverture conversent avec les magazines de mode et les figures statuaires de temps anciens d’Égypte ou de Crête. La sculpture, à la différence de la peinture, me permet d’introduire l’humour…de plus c’est un objet que l’on peut toucher, qui manifeste une certaine présence ». Chapeautées, sanglées, drapées, goûtant avec jubilation à l’accessoire, on imagine rapidement les madones fardées pour un défilé où l’artifice de la séduction nous cacherait leurs âmes sans doute davantage empreintes de gravité. Les temps que nous vivons…
Chez Sordini, l’oeuvre peinte nous semble d’abord aborder d’autres rives. Mais à y regarder de plus prés, si l’humour ici devient plutôt un exercice ludique où le collage excelle, le dialogue se prolonge entre souci esthétique et pratique inquiète de notre réalité. Toutes les peintures représentent des cartes, thématique sur laquelle Hervey travaille depuis trois ans: » C’était un peu avant la chute du mur de Berlin, je m’interrogeais sur les notions de territoire, de frontières; je remontais aussi dans le temps, mes souvenirs d’école primaire où j’étais fasciné par toutes sortes de cartes épinglées sur les murs. Tout comme la peinture, les cartes sont un support au rêve. Puis j’en venais aux abstraits des années 50 dont les tableaux laissent supposer une familiarité à la cartographie… Je continue à travailler sur ce thème, utilisant dans mes collages beaucoup de cartes d’état-major. De « Conduite de nuit » à « Kaléidoscope pour Mémorial » , c’est l’émotion, qu’elle soit de l’ordre de l’intime ou du social, qui me fait peindre. J’utilise ma propre expérience, je ne suis pas livré à notre temps; j’ai beaucoup d’amis peintres dans toutes les civilisations, les Étrusques me sont tout aussi familiers que les galeries de la rue de Seine »… Le temps, le nôtre est pourtant là, de toute ses forces dans les tableaux d’Hervey. En janvier et février 91, « L’image est une arme » et « Kaléidoscope pour un Mémorial » organisent dans une douce mais prégnante proximité les couleurs d’aquarelle,les formes arrondies et les bouts de photo représentant les roues d’un camion, une fusée, un missile assortis de fragments d’un texte douloureux qui ne laisse apercevoir qu’un mot « peur ». Loin du spectaculaire et parce qu’elles obéissent à un évident principe d’harmonie « je ne cherche rien d’autre que construire du beau en équilibre » dit l’artiste, ces peintures sont d’abord des oeuvres d’art. Mais elles jouent de façon critique avec le monde et nourrissent dans le propos et le style des affinités électives avec le cinéma de Jean-Luc Godard. Ainsi des sculptures étranges et muettes aux peintures abstraites et arguant de parole, du « baroque archaïque au jansénisme joyeux » selon les termes qu’applique aux unes et aux autres Hervey, l’oeuvre de l’artiste nous libère de l’actualité en nous ancrant dans les temps moderne.
« Vous qui entrer dans l’enfer des images, perdez toute espérance »*
Les traces reposent, fixes et cependant colorées, sur du papier. Collages, peinture à tempéra (fruit d’une double émulsion où interviennent l’oeuf et la caséine) ce qui est prélevé autant que poursuivi, s’expose, muettement sous nos yeux.
Comme tout objet longtemps enfoui, oublié, puis brutalement restitué, les Cartes et Itinéraires d’Hervey baignent dans une neuve clarté. Ici, notre oeil s’ouvre.
Encore obscurcie par la panoplie de la guerre-lumière sur champ de bataille électronique, médusée par l’image synthétique de la cartographie automatique de satellites détecteurs de cibles à détruire, notre vision subit un bain. Semblable sans doute à ce qu’on nommait un bain d’oeil, cette opération rafraîchissante au cours de laquelle, le visage en arrière, on plongeait l’organe dans un petit récipient de verre empli d’un liquide réparateur où entrait de la gentiane et du bleuet. Le même mouvement (en vue d’apaisement ou de nettoyage) pouvait se faire à l’aide d’un kaléidoscope.
Mais aujourd’hui, on ne prescrit plus de bain d’oeil et les vieux kaléidoscopes de notre enfance sont perdus. Face au vaste trafic des instruments de l’immédiateté visant à une dématérialisation du monde, il nous reste certains travaux d’artistes. Ces Cartes et Itinéraires par exemple, qui étrangement nous rappellent que le mot itinéraire ne désigne pas uniquement l’indication du chemin d’un lieu à un autre, mais aussi les prières que devait faire un voyageur quand il commençait son voyage.
Liliane Giraudon
(Marseille, Avril 1991)
*Abel Gance
PARCOURS
L’homme parait paisible, on sent en lui comme des déchirures. Les certitudes ne sont-elles pas précisément ce regard vers toutes choses en leur état ?
Hervey est peintre et sculpteur à la fois: les modèles et leur lieu de vie. Il y a correspondance entre les sculptures polychromes ( mieux vaudrait dire « coloriées » ) et cette peinture, ces insertions: raffinements de formes et d’accidents. Non abstraits car tous les signes entrelacés convergent vers une réalité intérieure que notre esprit supposait sans avoir l’ingéniosité de la dire. Il y a ainsi dans l’usage des cartes et alentour, toujours de longs courants, des réseaux, presque de la volupté.
D’ ou cet aspect » familier » des oeuvres exposées, on croit y entrer facilement, mais quelque chose nous guette: non la dramatisation ( si convenue et si répandue ) mais l’ouverture d’un périple sans fin.
La lumière ni l’ombre ne touchent ces compositions, seule une clarté en sort, comme quelque chose de bénéfique. Hervey dit venir de la figuration et souhaiter y revenir, l’a-t-il vraiment quittée? Ou bien la figuration ne serait qu’une entreprise minimale? Ici, dans les oeuvres exposées on se » figure », tout amène à la réflexion, par le jeu des titres, par l’harmonie aiguë du dessin pris dans un mouvement horizontal, comme un récit.
Pour voir, il y a un itinéraire, Hervey nous guide, la vision des fragments de cartes (peut-être fascination de l’âge scolaire?) glisse vers l’interprétation. Elle est lente car ces oeuvres sont pleines.Dans cet art, comme dans tout art majeur, il y a une éthique.
Quant aux sculptures, elles nous épatent d’abord, on a osé, on a osé toucher au plâtre et aux couleurs, et ensemble se jouer de nos représentations.
Ces instantanés colorés disent plus que leur élégance: un défi; des hologrammes tirés au moment ou on ne nous regarde pas; un monde goulu. Mais ici il faut regarder, pas plus de dramatisation que dans la peinture de l’artiste, mais peut-être une approche nouvelle et libre de notre beauté sur terre.
Face à un art contemporain largement anonyme parce que répétitif, nous avons besoin de telles oeuvres qui nous rendent, entière, notre identité.
L’INQUIETUDE
Le sculpteur HERVEY ouvre ses caisses. On va rire. Nous voici, entouré de characters, dans une nouvelle théâtralité. Il y a l’homme qui se rase, torse musclé, les hanches ceintes comme un scribe, d’une serviette. Son regard nous survole. Il y a le cavalier nu d’un cheval arrêté hors du temps. Il y a ce rêveur en tricot, yeux écarquillés sur l’invisible. Je ne fais pas une énumération. Je déballe moi-aussi. Je recense des imitations. Cette femme nue, debout au bord de quelque chose. Cette autre, aux lourdes boucles jaunes. Et tous ces visages, écrasés comme des empreintes, fossilisées. De face ils ont la largeur à peine d’une bouche et si, d’un côté, ils ont l’oeil grand ouvert, peint comme celui d’une danseuse hindoue, de l’autre, ils dorment à jamais. Le sculpteur HERVEY ne met pas en place, là des volumes autour desquels pourrait s’agencer le regard dans la syntaxe d’une approbation convenue: je regarde, je sélectionne, j’appréhende, je lis. A priori, nul lieu de référence n’apparaît dans ce qui travaille ici à nous investir. HERVEY fonctionne dans le non-repère. Méfions-nous de celui qui ainsi surgit en semblant n’avoir rien dans ses poches. Méfions-nous de ce détenteur de pouvoir, nanti d’ourlets secrets et distributeur d’apparitions dans notre foule uniforme. Ainsi l’apparition du vrai-faux-reflet. Ces têtes (pour surprendre cela il faut les contourner) qui tentent, en douce, une grimace des lèvres: nous n’en recevrons, dans les miroirs en bois qui les captent, qu’un dérapage de peinture perdue, une coulée, une erreur. C’est alors que l’inquiétude, à observer ainsi ces interprétations du reflet, nous gagne.Nous pouvons errer parmi ces créations – ces créatures. A le faire, nous ne parviendrons qu’à sommer des positions, des lieux de corps, des ensembles d’une suffocante simplicité apparente mais dont la démesure littérale (profils « trop large », tailles « trop réduites », situations « trop banales ») induit, à les côtoyer, une gaucherie d’abord, un malaise ensuite.Cela tient aussi au matériau utilisé: plâtre peint, faisant croire à une peau hésitant entre le bistre-clair et le rose. Plâtre comme lui-même plâtré de vert-foncé, de jaune-brun. Matériau sans écho, sans reflet justement, tout à lui-même donné. Mais cela tient aussi à une manière d’inventaire social citant, si l’on s’appliquait à un atlas de ces personnages inconnus, le muet, le scrutateur, le figé, le dérouté, l’absent, l’oublieux. Et puis le perdu. Et puis enfin, l’ailleurs. Devant cette famille d’envahisseurs fragiles, le simple désir d’interpellation que suscite toujours un générateur de surprises, se transforme fatalement en une supplique qui nous vient des contes orientaux:
« Reviens, imprudent risque-tout, reviens nous libérer de l’Enfer ».
Jean-Jacques Viton
(Novembre 1988)
Préface à Reflets/Clamecy
Si « les rivières sont des chemins qui marchent » comme le disait Pascal, nul doute que les reflets capturés par Hervey sont les chemins au ciel d’une pensée éblouie, capturée dans un bonheur immédiat, remâchées dans la pensée jubilatoire. Comme un jeu d’enfant passage. Dehors, le monde à l’envers du décor… l’onirisme des rêves : le soleil à nos pieds, le ciel à portée de mains, les arbres horizontaux, les maisons dont le toit forme la coque des bateaux alignés dans l’eau ; tan- dis qu’épaules contre épaules d’autres encore forment un château imaginaire que trouble l’onde, quand ailleurs des morceaux de bâtisses, comme hantés par la mémoire des flotteurs, s’éloignent de Clamecy. Ainsi, Hervey nous laisse décider de ce que nous allons voir : tout comme un touriste ne perçoit de la ville que ce que son œil lui donnera à voir selon qu’il possède ou non connaissance du passé des lieux … à chacun son plaisir.
Quelle que soit la religion, la croyance vers un au-delà, ou la spiritualité, on y parle toujours de lumière, de celle qui nous ravirait si nous la percevions simplement au quotidien… et c’est bien cela qu’offre encore Hervey en s’attachant à cet essentiel dans la collégiale.
Magie de la rencontre du dehors au-dedans ; musique des couleurs dans le silence d’été ; reflets de vie à l’instar de la beauté pure ; évidence d’un rayonnement dans la superposition de la froideur de la pierre et du chatoiement des couleurs qui forme une peinture de l’âme fugitivement sublimé dans l’instant.
Dans ce lieu qui garde l’empreinte d’autres artistes, ceux qui l’ont bâti, agrémenté de leurs œuvres au l des siècles, tout soudain nous paraît neuf, contemporain.
Des reflets comme des signes pour toutes les prières accumulées au l des siècles vers des cieux pris à témoin, comme le renvoi, dans la rétine de l’incrédule, à la beauté du don dans un cri de joie enfantine.
Briser la ville en miettes et débris de lumière parce que la terre appartient au ciel et au regard des enfants qui cherche la source et balafrent l’horizon de leurs espoirs.
Chercher à rendre en partage l’impartageable figé de l’instant magique ou simplement étrange où l’on sait que l’on sait… à moins que l’on sache que l’on sent l’instant qui passe et nous dépasse.
(Novembre 2016) Jö/ELLE
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