Giovanni Bellini, les Madones et la peinture.
Quatrième et dernier épisode
Giovanni Bellini restera longtemps un exécutant dans l’atelier de son père. Il ne signe ses premiers contrats que vers l’âge de 35 ans.
Il est sans conteste un peintre habité par un profond sentiment religieux. C’est le peintre des madones et plus qu’un autre, probablement le plus beau miroir de son temps.
Son exceptionnelle longévité et son incessante production nous permettent de suivre la féerie de sa touche de plus en plus fluide, aérienne, colorée. Son oeuvre est d’une exemplarité remarquable par cette aptitude au renouvellement, à suivre son temps, en être toujours le premier référant, annonçant même les signes stylistiques du siècle à venir.
Ainsi fait avec Andrea Mantegna, j’ai choisi trois oeuvres (seulement trois) parmi l’ensemble de sa production.
Cette « Pietà », admirable de justesse psychologique.
D’un côté le rapprochement tragique de la mère et son fils mort ( rapprochement des visages pour y déceler un souffle de vie, et le soutien, soutien du corps, de la main), de l’autre l’affolement de Jean implorant… le regard hors champs, cherchant ailleurs qui interroger devant un tel drame (c’est nous qu’il prend à témoins).
L’émotion est immédiate et nous sommes bouleversés, car en un coup d’oeil, nous venons de comprendre ce qui s’est passé.
Cette dramaturgie est accentuée par des oppositions de tonalités claires (le corps nu du Christ) et sombres (pelisses foncées de Marie et Jean). La construction en opposition de lignes verticales (les personnages) et horizontales (balustre, paysage-horizon, nuages) encadre et soutien cette dramaturgie dans un espace abstrait intemporel.
Cette « Pietà » est peinte à tempéra (comme presque toutes les peintures de Mantegna). Il y a dans le rendu de la tempéra une matité, rudesse ou frugalité qui magnifient la gravité du sujet.
La découverte de l’huile comme médium à peindre coïncidence avec l’invention de l’imprimerie.
Les frères Van Eck, peintres du nord de l’Europe furent les premiers à l’utiliser avec art.
Cette technique où les pigments étaient broyés avec une huile de lin ou de noix rendues siccatives par cuisson et adjuvants se répand dans toute l’Europe et sera adoptée par les peintres à Rome comme à Venise, Naples ou Florence avec des expérimentations différentes d’un atelier à l’autre.
Peinte à l’huile, cette adoration à l’enfant recèle quelques symboles.
Elle s’inscrit dans un paysage réaliste, montrant l’activité aux champs et l’architecture défensive de son temps. Sur la gauche un oiseau (ibis) lutte avec un serpent (symbole du combat entre le bien et le mal dans l’imagerie chrétienne). Au dessus, perché dans l’arbre, un rapace regarde la scène. Cette tache noire dans cet espace serein et empreint de douceur (l’adoration à l’enfant) est comme un mauvais présage. La position de l’enfant, abandonné dans son sommeil dans les pans lumineux et bleutés de la robe de sa mère et la tranquillité de cette fin de journée ne sont qu’un moment, un « instantané » du temps qui passe … et passe inéluctablement.
D’un point de vue formel, on retrouvera beaucoup plus tard chez un peintre comme Balthus dans ce « Grand paysage à l’arbre » comme un écho lointain au traitement du paysage de fond de « La Madone du pré » de Bellini.
Déjà évoquée la longévité du peintre mort à 86 ans ainsi que sa longue période d’apprentissage comme peintre exécutant dans l’atelier de son père Jacopo Bellini, évoqué aussi l’influence trés visible de Mantegna sur ses premières oeuvres. Lors de cette longue période comme subalterne et quelque peu sans statuts dans l’atelier du père, j’imagine volontiers Giovanni Bellini exécutant des copies de commandes à la manière de … Fabriano, Lippi, Pisanello acquérant ainsi un large savoir pictural et une grande facilité d’exécution qui lui donneront cette liberté d’ouverture aux innovations techniques de la peinture à l’huile, pas le cas pour Mantegna qui lui, n’utilisera pas ces nouvelles possibilités ou si peu. De même, le fait d’avoir été longtemps un exécutant l’a probablement conduit à prolonger sans soucis ce travail « en équipe » à plusieurs, une fois acquis son propre atelier. L’histoire est sans mystère à ce sujet Giovanni Bellini a formé de nombreux élèves qui eux aussi auront une grande renommée : Bartolomeo Veneziano, Lorenzo Lotto, Sebastiano del Piombo, Giorgione, Titien, (Portrait de Bellini par Titien).
Par delà cette influence directe des artistes en formation dans son atelier, Giovanni Bellini ne sera pas oublié. Un siècle et demi plus tard (c’est visible ici et dans bien d’autres tableaux) Nicolas Poussin revendiquera (sans le dire) ce bel héritage.