Halte forcée à Tsetserleg.
Visite du marché,
du dernier temple bouddhique reconverti en Musée
et rencontre avec le dernier lama du coin, dans son misérable ger aux abords de la ville.

Le vieux guide Balginnyam, « compagnon remarquable, plein de dignité, de sagesse et d’intérêt » a laissé Stanlay et Mandah aux portes de Tsetserleg, pour s’en retourner chez lui en direction de Chuluut. Une fois de plus Stanley doit faire une halte, le temps de retrouver des montures fraiches et un nouveau guide dans sa traversée de la Mongolie en direction d’Oulan-Bator.
« Tsetserleg ressemblait davantage à une ville que tous les endroits que j’avais pu voir depuis que j’avais quitté le Kazakhstan, prés de trois mois auparavant. »
Stanlay et Mandah trouvent un hôtel (pas deux, il n’y en a qu’un dans le coin), et louent deux chambres « grand luxe », signifiant : électricité limitée à quatre heure tous les soirs. Pour l’eau, « il fallait prévoir de remplir la baignoire le samedi; elle servait de réservoir pour la semaine » précise-t-il et … les fenêtres des chambres faisant face à l’Hotel de Ville, les journées s’en trouvaient comme bercées par le cliquetis des machines à écrire de la bureaucratie locale. CQFD.
Première sortie en ville et première curiosité, le marché et les étales des bouchers sur lesquels sont entassés des monceaux de viande et … « des têtes de montons et de vaches, tout à fait intactes en dehors du fait qu’elles n’étaient plus rattachées au cou de l’animal, étaient nichées comme des trophées parmi les membres et le côtes de leur propre carcasse débitée en morceaux ». A se demander si les consommateurs mongols, habitués à côtoyer ces animaux, ne souhaitaient pas juger avant tout de visu et lire, les yeux dans les yeux, de la qualité de la bête avant d’en acheter les morceaux à cuire … « en réalité » précise-t-il, » les têtes elles-mêmes étaient des morceaux de choix; la tête de vache, notamment, était très demandée, pour un certain ragoût de tête de vache. » CQFD.
A Tsetserleg, impossible de ne pas évoquer le Buyandelgeruulekh Khiid et l’histoire lointaine des temples bouddhistes comme son passé plus récent.
Durant des siècles, la Mongolie a subi l’influence chinoise avec laquelle elle partage 4677 km de frontière !
De fait, si les mongols ne sont pas des bâtisseurs, toutes les villes de Mongolie ont érigé depuis des temps immémoriaux des temples bouddhistes.
Le mot Ourga, ancien nom de sa capitale Ourla-Bator, signifie Temple.
L’histoire des monastères bouddhistes en Mongolie est comparable à l’histoire des monastères chrétiens en Occident, le bouddhiste était la religion de l’élite, « la seule capable d’offrir sous ses bienfaits qui font traditionnellement défaut à la vie pastorale – l’éducation, le commerce, l’artisanat. »
« On dit que les Chinois ont commencé à répandre plus largement le bouddhisme tibétain au XVI è siècle, dans l’espoir de pacifier ainsi leurs voisins septentrionaux. Au bout de deux mille ans, en effet, les Chinois avaient fini par se résigner à l’idée que la grande muraille de Chine ne servait à rien. Les subventions accordées aux maçons furent donc détournées au profit des lamas qu’on envoya vers le nord trouver les hordes mongoles, afin d’accomplir auprès d’elles ce que n’avaient pas su faire les remparts et les tours de guet : les contenir. » CQFD.
Cependant, le socle vertueux constitué par les représentants les plus exemplaires du monde bouddhiste va se distendre et sombrer dans les turpitudes du style Sodome et Gomorrhe.
« Au début du XX ième siècle, il y avait en Mongolie nettement plus de cent mille lamas soit un tiers de la population masculine … leur maitre était Bodgo Gegen, un dieu-roi qui était la septième réincarnation du Djibtsundamba Khutukhtu. Logé dans la splendeur considérable d’un palais à Ourga, le Bogdo Gegen menait une vie de débauche, auprès de laquelle l’existence d’un pape Borgia aurait pu passer pour un modèle de retenue. »

Nyama, la guide russophile du Musée Buyandelgeruulekh Khiid de Tsetserleg, « portait un corsage très décolleté et un collier de fausses perles qui roulaient de façon séduisante sur ses doux arpents de poitrine avantageuse ».
Sans plus de détail, on comprend la facilité avec laquelle la révolution communiste de 1917 n’a pas eu trop de mal à faire oublier le clergé bouddhiste du siècle passé … de plus, ce ne sont pas les soubresauts du voisin chinois qui auraient pu à ce moment là, voler au secours des lamas.
L’Histoire se fraie un chemin toujours plus compliqué qu’il n’y parait … mais, du coup, « la république populaire de Mongolie, le premier Etat satellite de l’Union Soviétique, le plus soumis aussi, devint le modèle de méthodes de contrôle que le Kremlin allait peu à peu pratiquer dans le monde entier. »
Le portrait de Nyama, la guide du Musée en question que va visiter Stanley, est destinée à enrichir la liste savoureuse des rencontres liées au voyage.
Passé maitre dans l’art de croquer ses personnages, Nyama, de part sa fonction, est chargée d’une mission de contrôle culturel. Le Musée est là pour rappeler ce que doivent être les faits historiques au regard du pouvoir soviétique.
Il est important de véhiculer et d’entretenir une certaine vision de l’Histoire dans le domaine culturel. CQFD.
Lorsque Stanley apprend l’existence d’un vieux lama, mémoire vivante d’un passé délibérement occulté, vivant dans un ger à deux pas de la ville, tel Tintin au pays des soviets, il n’hésite pas une seconde, loue une Jeep avec chauffeur et lui rend visite, accompagné de Mandah, la traductrice.

« Visite au vieux lama Ikh Tamir de 87 ans, dernière mèmoire vivante de la période Stalinienne «
« Au premier regard, le ger paraissait vide. J’ai eu le sentiment d’être venu voir un fantôme ».
Le vieil homme vivait avec sa nièce, elle-même, très âgée.
Il dormait.
La vieille dame l’a réveillé et a offert des bols de thé.
Stanley a pu le questionner sur sa vie.
Rentré à huit ans au monastère de Tsetserleg, il est resté moine vingt neuf ans puis une nuit des hommes sont arrivés avec des camions et des armes à feu, les ont chargé comme du bétail dans les camions et les ont fait disparaitre.
« Ils nous ont obligés à brûler les temples ».
Mandah traduisait soigneusement, précise-t-il.
« Au cours des dernières années, le gouvernement a pris quelques mesures pour offrir aux moines diverses réparations. Des fonctionnaires d’Oulan-Bator étaient venus le voir et lui avaient demandé de remplir un formulaire, en dressant la liste des biens dont on l’avait spolié …
Il paraissait soulagé que l’affaire n’ait rien donné. »
« Le passé est irrattrapable, a-t-il dit. On ne peut y vivre. »
Le vieil homme était assis, la tête inclinée, comme un oiseau, écoutant le soir …
Avec qu’elle légèreté il est perché sur le monde, me suis-je dit.
…
« J’attends mon tour » a-t-il reprit.
…
Pour finir, le vieil homme lui a demandé si on lui fournissait de bons chevaux pour ce long voyage … « dites leur que vous avez la bénédiction d’un lama, il n’y a rien d’aussi beau qu’un bon cheval, cela vous console de tout » ajouta-il. CQFD
La suite au prochain épisode.
