(Deuxième partie)
La même année, lors de la pleine lune du 10ème mois, je quitte le studio de la neige et rentre à Lin-kao. Deux amis m’accompagnent. Nous passons par la Sente de la boue jaune. Le givre c’est déposé, les arbres sont dépouillés de leurs feuilles. Apercevant nos ombres sur le sol, nous levons la tête pour voir la lune claire. La contemplant nous sommes tous réjouis, nous marchons et chantons en nous répondant. C’est alors que je soupire :
Su Shi (1037-1101)
« J’ai réuni mes amis mais n’ai pas de vin. Et même s’il y avait du vin, il n’y aurait pas de plat d’accompagnement. La lune est brillante, le vent agréable, qu’allons-nous faire par une aussi belle nuit ? »
Un de mes amis répond :
« Ce soir avec un filet j’ai pris un poisson, il a une grande gueule et de fines écailles. Il ressemble à la fameuse perche de le rivière Song. Il ne nous reste plus qu’à trouver du vin. »
De retour à la maison, je consulte ma femme. Elle me dit :
« Il y a longtemps que j’ai mis de côté une mesure de vin, pour une occasion inattendue où tu en aurais besoin ». Nous emportons le vin et le poisson, et allons à nouveau nous promener au pied de la falaise rouge.
Le fleuve coule bruyamment. La falaise abrupte est haute e mille pieds. Le lune est toute petite au dessus des montagnes. Le niveau de l’eau a baissé, les rochers sont découverts. Depuis ma dernière visite, le fleuve et les montagnes sont devenus méconnaissables. Retroussant mon vêtement j’escalade les parois rocheuses, écarte les broussailles, m’assois sur des rochers en forme de tigre ou de léopard, grimpe sur des arbres vrillés en forme de dragon. J’atteins le haut nid où perchent les faucons et regarde en bas le palais secret du génie du Fleuve. Mes deux amis n’ont pas pu me suivre. Libre, longuement je chante, mon chant fait frémir herbes et arbres et retentit dans les montagnes auxquelles répondent les vallées. Le vent se lève et les flots s’agitent. Soudain envahi par la tristesse, saisi par la peur, je comprends que je ne puis rester. Je rebrousse chemin et retourne sur la barque. Nous laissons la barque dériver à son gré sur jusqu’au milieu de courant.
Il est presque minuit, alentour tout est silencieux. C’est alors qu’une grue solitaire, venant de l’est, traverse le fleuve. Ses ailes ressemblent à des roues de charrette, sa jupe est noire, sa veste blanche. Son cri perçant frôle notre barque en s’envolant vers l’ouest.
Peu de temps après que mes amis soient partis, je vais me coucher. Je rêve d’un taoïste, dans sa robe de plumes il danse en tournoyant. Il passe au pied de Lin-kao, me salue et dit :
« Vous êtes-vous bien amusé lors de votre sortie à la Falaise rouge ? »
Je lui demande son nom, il baisse le regard, sans répondre.
« Ah oui ! je me souviens, la nuit dernière, criant en survolant votre barque, n’était-ce pas vous ? »
Le taoïste se contente de rire. Je me réveille alors en sursaut. Je vais ouvrir la porte pour regarder dehors, pas la moindre trace de lui.
Notes sur « La Falaise rouge » .