
Post-it poétique : « Le souffle et la rouille ».
« Le souffle et la rouille »
L’argent fut d’abord un souffle.
Un simple moyen de dire : voici ma peine, voici ton pain.
Il circulait comme le vent, léger, indispensable, sans maître.
Puis un jour, on le garda. On le posa dans un coffre et on le fit dormir.
Mais l’argent qui dort, ne dort jamais longtemps. Il rêve. Et dans son rêve, il se multiplie.
Ainsi naquit le grand malentendu des sociétés modernes : l’idée que l’argent, en s’accumulant, pouvait créer de la vie.
Depuis, il fait des petits, comme un organisme sans âme, hors du travail, hors du temps, hors du monde. Et plus il s’accumule plus il réclame à manger.
Ce qu’il dévore ?… Nos heures, nos dettes, nos servitudes.
Helmut Creutz, autrefois, voulut le guérir de sa maladie. Il imagina une monnaie qui rouillerait comme le fer. Une monnaie humaine qui perdrait de sa valeur à force de rester immobile.
Mais on étouffa l’idée.
Les puissants ne veulent pas d’argent qui s’éteigne. Ils veulent un argent immortel, un dieu qui s’auto-féconde.
Paul Jorion, plus tard, rappela l’évidence : l’argent n’est pas une chose mais une promesse. Et lorsqu’une promesse devient un outil de domination, la société tout entière s’enchaîne à sa propre invention.
Pendant ce temps, les gouvernements punissent les petits découverts — ces maigres 400 euros mensuels qu’on appelle “irresponsabilité” — tandis qu’ils excusent 3400 milliards de dettes publiques, fruit d’exonérations et de faveurs consenties aux héritiers du système.
Ils condamnent la misère et récompensent la rente.
Ils sanctifient la dette du fort et stigmatisent celle du faible.
Ainsi vont les démocraties : prêchant la vertu aux pauvres, et la liberté aux puissants.
La monnaie fondante oubliée n’était pas un rêve naïf : c’était une morale.
Elle disait : la richesse n’est vivante que si elle circule, comme le sang dans le corps.
Mais on a préféré le capital à la circulation, la rente à la respiration.
Alors l’argent s’est mis à respirer pour nous.
Il bat son propre pouls, il dicte ses propres lois, et les États eux-mêmes sont devenus ses débiteurs.
Nous habitons un monde où la monnaie a survécu à l’homme et où la démocratie se débat dans son ombre.
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