Inferno : Canto 15

Feuilleton – L’Enfer : Chant 15

Les sodomites. Brunetto Latini ? Vous ici ?

Chemin faisant, tout en suivant une digue le long du fleuve, nos deux voyageurs pénètrent dans la zone des violants contre nature, et croisent les sodomites.
Dante est reconnu par un florentin qui le tire par le pan de sa robe, Brunetto Latini soi-même, évoluant parmi toute une ribambelle de clercs.
Che sorpresa ! Brunetto ??? No, non è possibile !
Eh ! Oui, que fait donc le brave Brunetto en cette compagnie ?
Dante est prêt à s’assoir au bord du chemin pour discuter avec le brave homme mais, pas question dit Virgile, il y a un minimum de règle à respecter… CQFD.
Quoi qu’il en soit, cet éminent notaire, auteur d’une Encyclopédie en prose française, ambassadeur des guelfes, ami des belles lettres et admiré de Dante, n’est pas à sa place ici. Dante en est le premier surpris. Alors ?
Devisant tout en marchant, puisqu’il est interdit de s’arrêter, une conversation amicale s’engage au cour de laquelle Brunetto prédit un brillant et grand avenir à Dante malgré la misère des temps, les divisions mortifères qui sévissent à Florence mais aussi en Italie et en Europe.
Interrogé sur la troupe qu’il doit rejoindre, « souillée d’un même péché », le père Brunetto ne souhaite trop s’étendre. La suite du récit qu’en fait Dante nous dévoile nommément quelques uns de ces personnages résidants, un grammairien, un juriste professeur d’université de Bologne, et l’évêque de Florence… mais pour Brunetto, il y a comme un blanc.
Les dernières strophes du Chant ont toutes les saveurs d’une séquence fellinienne.

Notes : Brunetto Latini est un personnage important au coeur de Dante et aux yeux de la ville Florence.
Cet homme fut un second père pour Dante qui fut orphelin de mère à seize ans et de père quatre ans plus tard. De plus, Brunetto Latini tient une place de choix dans l’histoire de la cité Florentine. Il était parvenu un temps à réconcilier les factions rivales assurant ainsi le retour de la prospérité dans la ville et à instituer à travers une vingtaine de guildes une véritable république.
Che diavolo mi state dicendo ? Pourquoi cette moquerie gratuite ?
On raconte de sources sérieuses qu’il participa à ces séances de réconciliations entre guelfes et gibelins qui consistaient à se réunir sur la place publique; là, les principaux chefs des deux factions devaient se faire face, s’agenouiller et s’embrasser sur la bouche… Voilà qui prête à rire, en effet. Un indice ?
Vous imaginez, aujourd’hui, pareille mise en scène à Paris, sur la place de la Concorde (forcément) entre des représentants du gouvernement et ceux des gilets jaunes ? et toutes les télés qui filment… oui, c’est vrai, la nouveauté, aujourd’hui, est qu’il y a des femmes, des deux côtés… mais c’est pas vous qui choisissez avec qui vous faites ami-amie… alors, pensez-y, vous êtes gilet jaune et vous avez en face de vous B… ou C… ou encore G… et F… vous voyez qui je veux dire ? Ils ne sont pas fictifs, ils existent vraiment (un petit effort). Je suis sûr que vous allez marquer un temps d’hésitation et peut-être même renoncer et pour le coup, envoyer tout valser et préférer continuer la lutte.
Vous voyez, ce n’est pas si facile que ça. Ah ! Le coeur a ses raisons…

Alors oui, une farce à l’italienne, un peu forcée comme toutes les farces, effet assuré.
Toutefois, l’interrogation demeure : pourquoi lui, ce brave Latini, un père de famille sans histoire ?
Une autre raison est évoquée, plus secrète. Homme de lettre, Latini a consacré une partie de sa vie à la littérature et la philosophie (déjà dit), on lui doit des ouvrages sur Cicéron, Aristote, la littérature française, et lors d’un exil en France il commença le récit d’une allégorie inachevée : Tesoretto, une histoire qui ressemble étrangement à la démarche déambulatoire et rédemptrice de Dante lui-même avec sa Divine Comédie. Or, tous les ingrédients qui débutent la Divine Comédie sont là dans ce Tesoretto inachevé, dix ou quinze ans plus tôt.
Alors ? Une façon de « tuer le père », ce père de substitution doublé de cette paternité littéraire que fut ce Tesoretto de Brunetto Latini pour Dante ?
Peut-être bien.

Off-ligne, humain, trop humain Dante ? A vous de voir.

Hervey Illustration pour l'Enfer de Dante Chant 15

E io, quando ‘suo braccio a me distese,
ficcaï li occhi per lo cotto aspetto,
si che ‘l viso abbiosciato non difese

 la conoscenza sua al mio ‘ntelletto
e chinando la mano a la sua faccia,
rispuosi : « Siete voi qui, ser Brunetto ? »

Et moi, quand son bras vers moi il tendit,
j’examinai son aspect calciné
sans que son visage brûlé défendit

que ne reconnaisse aussi ma pensée;
et abaissant sa main vers mon visage,
je m’écriai : « Vous ici, messire Brunet ? »*

*Traduction de Danièle Robert (Editions Actes Sud).

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